Je cite Lucrate Milk dans le titre, pour ceux qui se demandent. Probablement la chanson la plus connue de ce groupe Français assez méconnu et qui sans Bérurier Noir le serait surement encore plus, car il comptait dans ses rangs Masto le saxophoniste et a eu droit à quelques rééditions vu l’intérêt qu’a suscité les Bérus. Intérêt qui ne se dément pas encore aujourd’hui, vu que son public d’hier est maintenant à la maison et surfe sur le net pour tuer le temps.
Et comme la nostalgie est un moteur de recherche en soi, nécessairement, ce public cherche des choses reliées de près ou de loin à leur jeunesse, ce contenu a fini par apparaitre sur le web et comme chaque chose avec au moins 3 secondes de sons ou d’images, ça se retrouve sur YouTube. Et c’est de cette façon qu’aujourd’hui, le seul souvenir qu’il me reste des Lucrate Milk, c’est un vidéo sur YouTube. J’avais des cassettes jadis, mais ça s’est perdu dans le temps, et à part quelques vers d’oreilles, je n’en avais pas écouté depuis 15 ans quand je suis tombé sur un documentaire à leur sujet sur le fil d’un ami Facebook.
Et comme YouTube est ainsi, j’ai découvert d’autres traces du groupe et j’ai pu me replonger dans cet univers le temps d’une soirée, réécoutant ce band mais aussi tous les autres que j’avais pratiquement oublié, mais qui me branchait solide à l’époque. Ce fut une belle soirée YouTube.
C’est un exemple, mais ça démontre toute l’importance de la plateforme dans une perspective patrimoniale. Et la démocratisation de la diffusion que la plateforme permet, rend aussi tout ce qui se fait accessible à tous. C’est merveilleux et je ne sais pas ce que je ferais si un jour la plateforme venait à disparaitre, toute la musique qu’elle m’a permis de connaitre et qui est accessible n’importe quand, gratuitement, bat toutes les initiatives de diffusion passées, présentes et futures, du moins du point de vue du mélomane qui ne s’enfarge pas trop dans les considérations éthiques.
Parce que c’est ici que la partie fuck off du titre entre en jeu. De toutes les plateformes de distribution et de diffusion de contenu, YouTube s’avère la plus chiche quand vient le temps de rémunérer ceux qui lui fournisse sa matière première. Quand elle le fait, parce que beaucoup de contenus sur la plateforme n’appartiennent pas à ceux qui les publient, ce qui dilue encore plus les maigres revenus dont pourraient se prévaloir les auteurs et propriétaires légitimes de ces contenus.
YouTube fait mollement le ménage dans ce contenu « illégal », mais qui semble réapparaitre peu de temps après sous un autre canal et les visiteurs n’ont jamais idée si ce contenu est « legit » ou non. Et sans une armée d’avocats pour ratisser le web et faire respecter leurs droits, ces créateurs sont souvent impuissants face à la machine qui, paradoxalement, se fout pas mal de leur sort individuel. Et comme plusieurs de leurs collègues abdiquent leurs droits avec enthousiasme, leurs voix se noient dans le courant contraire.
À part quelques ténors tendance dinosaure herbivore, on entend peu parler du sujet hors des cercles d’initiés touchés directement par la situation. Mais on perçoit certaines avancées au niveau des lois touchant le droit d’auteur et peut-être qu’un jour, dans certains pays du moins, la plateforme devra devenir un citoyen exemplaire pour y faire des affaires. Parce que pour le moment, même si on l’aime beaucoup et qu’il est devenu par la force des choses incontournable pour quiconque veut se lancer dans la musique aujourd’hui, il se comporte surtout en voyou et tue par négligence une partie non négligeable de l’industrie qui lui fournit une somme de contenu tout aussi non négligeable.
Si le fameux débat des droits d’auteurs sur Internet peut prendre l’importance qu’il devrait avoir, avec les enjeux des redevances des plateformes de diffusions en continu en filigrane, le rôle et les responsabilités de l’éléphant géant dans la pièce devront en être un des sujets les plus importants. Parce que de ne s’adresser qu’aux Spotify ou Deezer de ce monde, c’est faire abstraction d’un gros pan du problème qu’a engendré le web pour cette industrie et tant qu’il ne sera pas adressé, demeurera le trou le plus béant dans le plancher que cette industrie croyait avoir atteint.
Et si ce jour arrive un jour, j’aurai des sentiments mitigés. Triste d’avoir perdu accès à une bibliothèque extraordinaire, mais heureux que justice soit faite pour les créateurs. Et si jamais on trouve le moyen d’accommoder les deux côtés en échange d’un abonnement de ma part, je vais y adhérer avec joie. Le contenu de YouTube est pour moi plus important que Netflix et avoir à faire le choix, c’est YouTube all the way. I love you fuck off YouTube.