31 Octobre 1987, aux Foufounes électriques, lancement du 2e album des Gruesomes, Gruesomania. J’ai 16 ans, et j’ai profité de l’Halloween pour me faufiler devant la scène du déjà mythique « chic Cabaret » de la rue Sainte-Catherine tout le monde est déguisé et l’ambiance est fébrile. À l’époque, les Foufs c’était le terrain de jeu idéal pour ceux qui se cherchaient et ceux qui voulaient se perdre. Décadence douce pour tous, ou presque.
C’est sans trop penser que je ne pourrais peut-être pas entrer que je me suis présenté devant les tout aussi mythiques doormen. J’allais voir enfin les Gruesomes, un soir d’Halloween en plus, set-up parfait et ce n’est pas le fait d’avoir 16 ans qui allait m’arrêter. Les étoiles étaient alignées, je suis passé sans même un regard des cerbères. J’étais dans les Foufs.
C’était, je pense, les 10 Commandments qui ouvraient, c’est vague, mais je tripais juste d’être là. Pas assez de guts pour aller me chercher une bière, je suis resté devant le stage tout le long. J’ai su que l’entracte était fini quand la marche funèbre de Chopin s’est mise à jouer, que les lumières se sont éteintes et que la fumée a commencé à remplir la scène. J’ai arrêté de respirer. Et là, Bobby Beaton est sorti d’un cercueil et a empoigné le micro pour pousser un de ses fameux hurlements. La foudre du rock m’a frappé en plein cœur. Mon histoire d’amour un peu malsaine avec Les Gruesomes venait de prendre une coche.
J’étais dans une passe de hardcore/skate/rap quand un gars de mon école m’a refilé une cassette avec Tyrants of Teen Trash dessus. Conversion immédiate. Et écoute en boucle de cette cassette, jusqu’à ce que j’apprenne qu’un nouvel album s’en vient et qu’ils le lancent aux Foufounes électriques. Je m’y rends et arrive ce que j’ai raconté plus haut. Le show était écœurant, les nouvelles tounes, débiles, bref, bonheur. J’ai acheté le Tyrant et le nouveau le soir du show et je n’écoutais pratiquement plus que ça. Je suis devenu membre de leur fan-club et c’est comme ça que j’ai connu Déjà Voodoo et les autres bands OG, commencé à aller aux Voodoo BBQ, etc. Et c’est là aussi que j’ai commencé à aller à presque tous les shows des Gruesomes.
Certains n’étaient pas aussi glorieux que celui des Foufs, des fois y’avait 5 personnes, des fois le monde s’en foutait, mais moi j’étais là et je tripais. Des fois ils jouaient 2-3 fois par semaine et j’y allais. J’ai fait ça pendant 2 ans. Et jamais je n’ai osé aller leur parler. J’étais le weirdo-stalker qui les regardait au loin. Et eux ne sont jamais venus me parler non plus. Et c’est ben correct, je ne voulais pas vraiment leur parler, je ne sais pas de quoi j’aurais ben pu leur dire de toute façon. J’étais un kid à l’école du rock’n’roll et j’analysais, je découvrais un monde. Chaque reprise que le groupe faisait, je le notais et j’allais chercher l’original. Ma culture musicale a explosé grâce aux Gruesomes. Et je me suis mis à tripper sur le local, j’allais voir des shows à tous les jours, n’importe quoi des fois, juste pour voir, connaitre, apprendre.
Quand le band a ralenti la cadence, OG aussi s’apprêtait à tirer la plogue et cette scène a cessé d’exister d’un coup. Pas grave, y’avait Grim Skunk et Groovy qui prenait le relais et c’était ben correct.
Ils sont revenus en 2000, pour un nouvel album et quelques shows, c’était cool de les revoir et j’ai écouté pas mal le CD à l’époque. Mais ce n’était plus le même esprit qu’en 87-88 et ils n’ont pas étiré la sauce. Le retour de 2008 fut pour moi un peu décevant, content de voir que le groupe avait atteint un statut culte et que pour plusieurs personnes dans la salle, c’était la première fois qu’ils les voyaient, mais moi j’avais trop d’attentes. Le band avait vieilli et ça paraissait, et j’avais de la misère à être indulgent. Avec le temps, on magnifie pas mal nos souvenirs et ils n’étaient plus à la hauteur que je les avais mis. Au-delà de la musique, Les Gruesomes étaient un symbole d’un Montréal disparu, d’une époque particulière, pour moi, mais aussi pour les fans de musique. Les années 90 changeront complètement le milieu alternatif, pas nécessairement la musique en soi, mais surtout sa diffusion et sa commercialisation. L’underground ne voulait plus dire la même chose. Et dans ma baboune pendant le show des Gruesomes, il y avait de la nostalgie d’une scène montréalaise qui ne s’annonçait pas comme celle qu’elle est devenue, mais aussi d’une jeunesse qui ne reviendra plus et l’illusion passagère que le passé surpassait le présent.
8 ans et une révolution numérique plus tard, la géographie a encore changé et la nostalgie est devenu l’un des aspects les plus importants de l’écosystème du showbiz. C’est à celui qui va ressusciter tel ou tel band-culte. Avec la tournée qui s’ensuit, et qui des fois s’éternise, parce que la demande est là et que pour une fois, le band fait de l’argent. L’époque est telle qu’il se vend/consomme plus de vieilles musiques que de nouvelles. On se réjouit des récents chiffres de vente et streaming, mais ce qu’il faut savoir c’est que Elvis, Led Zeppelin et Les Beatles vendent plus que Kanye West ou Beyonce. L’industrie de la nostalgie va très bien, le reste par contre…
La présence des Gruesomes à l’affiche du festival Anachronik est dans cet esprit. Pas sûr que c’est full payant pour eux, mais certains font ça aussi pour revivre une époque et, disons-le, aller quêter d’un peu d’amour. Et pour ceux qui ne les ont jamais vus, c’est une chance qui ne repassera peut-être pas. Le festival a, je pense, été un peu ambitieux en les programmant au Club Soda, mais espérons que je me trompe et que le culte Gruesomes a pris de l’ampleur depuis 2008. Je leur souhaite. Meilleur band garage de Montréal ever. Quand même.
J’y serai peut-être, au loin, comme dans le temps.
The Gruesomes @ Festival Anachronik avec Bloodshot Bill et Loose Pistons le 6 mai au Club Soda.

Patrice Caron
Fondateur