10e anniversaire de l’influent album d’Atach Tatuq.

En 2006 paraissait le 2e album d’Atach Tatuq, créant une commotion dans le milieu hip hop, mais aussi dans le plus général showbiz québécois, menant au couronnement du groupe au Gala de l’Adisq de la même année, Deluxxx remportant le fameux Félix de l’alors controversée catégorie Album Rap, qui pour une fois n’avait suscité aucune récrimination de la part des érudits.

Car c’était mérité. Parce que les membres du groupe avaient pour la plupart mangé leurs croûtes. Que la job était faite. Et que le niveau était élevé. Le groupe avait atteint une cohésion qui transcendait le nombre de mcs ou de djs présents sur la galette. Atach Tatuq était au top de sa game et Deluxxx, on l’avait prévu comme tel, son point d’orgue.

10 ans plus tard, qu’en reste-t-il ? Si plusieurs membres du collectif sont demeurés actifs depuis, avec Payz Play, Les Ducs du Hasard, ou encore DJ Naes/Toast Dawg (auteur des excellents Brazivilains), leurs natures d’explorateurs du Rap-Jeu les a gardés dans un underground relatif, toujours influents mais moins présents dans le top du poster. Mais ils y sont quand même un peu, pas mal, justement à cause de cette influence.

Parce que la sortie de Deluxxx annonçait qu’il ne serait jamais plus possible de revenir en arrière. C’est ce qui a fait entrer le rap québécois dans l’ère moderne et qui éventuellement mènera à des Alaclair Ensemble, Loud Lary Ajust et Dead Obies. Parce que si Deluxxx était l’aboutissement d’une évolution entreprise en 1998 avec Traumaturges, ce fut aussi une époque de transition pour le rap local, où une scène relativement jeune, encore en train de se positionner sur la planète Hip hop, était à se créer une identité, tiraillée d’un côté par les traditionalistes, penchant du côté américain ou français, et de l’autre, par ceux qui voulait faire un rap québécois, moderne, en phase avec les réalités linguistiques, ethniques et économiques d’ici.

Traumaturges est apparu dans ce paysage avec les pieds plantés des 2 côtés, autant old school que new school, le tout souligné par une autorité étonnante pour un groupe à son premier album. L’évolution de la formation vers Atach Tatuq sera marquée par un raffinement dans la livraison, une signature encore plus distincte, particulièrement au niveau des musiques, qui culmineront sur Deluxxx.

Toujours curieux, mais aussi respectueux de l’histoire qui les a précédés, Atach Tatuq a su assimiler une culture particulière et l’adapter à une réalité tout aussi particulière, créant du coup un rap typiquement québécois, sans les clichés de ceintures fléchées, et qui sera responsable jusqu’à un certain point de la direction que le rap au Québec prendra dans les années qui suivront. Si Muzion, Sans Pression ou Yvon Krevé ont utilisé l’anglais à certains moments, Atach Tatuq l’intégrera au français d’une manière si naturelle qu’on aurait pu croire que cette langue avait toujours existé.

Cet album est un jalon dans l’histoire de la musique au Québec, une pierre de fondation du rap québécois. De l’approximatif et l’inspiration trop évidente, Atach Tatuq a choisi de prendre le Hip hop au mot et de s’affirmer en tant que créateurs, au même titre que A Tribe called Quest ou le Wu-Tang Clan, et de pousser le rap vers l’avant. Qu’ils soient issus de cette scène, qu’ils en connaissent les codes et qu’ils y aient été impliqués leur donnera une légitimité qui leur permettra d’innover, d’avoir une influence à leur tour sur cette scène. Ce que des outsiders n’auraient jamais pu avoir, peu importe leurs succès populaires.

Si le succès de l’album était du jamais vu pour cette scène, c’était quand même assez modeste si on le compare aux autres albums populaires de l’époque. Musique-Plus a surement été le média le plus enthousiaste, en diffusant abondamment les quelques vidéos tirés de l’album. Les radios universitaires et communautaires en feront aussi leurs chouchous, mais les grandes stations n’emboiteront pas le pas, sauf Radio-Canada, et Atach Tatuq demeurera un grand groupe underground, respecté par tous, avec un grand bassin de fans mais sans la petite coche qui aurait la différence entre ce succès et celui de masse qu’il aurait pu connaitre si les programmateurs avaient été moins frileux.

Mais voilà, à défaut de convertir le peuple, Atach Tatuq aura au moins mis la barre à une certaine hauteur. Que ceux qui suivront s’y réfèrent ou non, ça indique déjà de quelle école ils se réclament. Atach Tatuq a le mérite d’avoir challengé le consensus que pour dépasser le cercle des initiés faut faire du pop-rap à la française, et d’avoir proposé un album à la fois traditionaliste et novateur, capable de fédérer au-delà des purs et durs. En établissant un nouveau standard, c’est toute la musique au Québec qui y a gagné, et me semble que le rap d’icitte est ben meilleur depuis.

***

On recommande fortement le texte de Olivier Boisvert-Magnen dans le Voir. Genèse et contexte dans lequel cet album s’est fait. Un must, comme la série que Voir présente sur les albums québécois marquants. À date ça rock. Bonne job les Voir.

Patrice Caron

Patrice Caron

Fondateur

Aller à la barre d’outils