Comme chaque année depuis 2006, la période post-recensement du Gamiq apporte son lot de constats sur la santé de la scène musicale québécoise. Et même si tout n’est pas recensé par le Gamiq, on a une bonne idée de ce qui n’y figure pas et nous les incluons dans la réflexion qui découle de la lecture de la liste des inscriptions.

1er constat : ça va relativement bien au niveau créatif. Malgré la révolution numérique et la dépression économique qui l’accompagne, il s’est produit grosso modo le même nombre d’œuvres qu’au cours des 10 dernières années.

Du moins en apparence, car un phénomène croissant des dernières années représente en fait une diminution du nombre de pièces musicales enregistrées, c’est-à-dire la multiplication des EPs, de 3 à 6 chansons, contrairement aux albums de 10 pièces ou plus, qui a diminué proportionnellement.

Il s’est également plus produit de vidéos que les années précédentes, témoignant de l’importance du médium en cette ère Youtube et Facebook.

Bandcamp est la plateforme de commerce et de diffusion la plus populaire auprès des musiciens et de loin, devant iTunes, Spotify et Deezer, qui bénéficient tout de même de quelques exclusivités.

Quelques révolutionnaires demeurent récalcitrants à se liguer à l’un ou l’autre, et se démarquent en étant difficilement disponibles sur le web.

Mais ce n’est qu’une minorité et ceux qui le peuvent se retrouvent sur la plupart des plateformes, multipliant les chances d’être entendu par le plus grand nombre d’acheteurs potentiels, comme encore une fois le commande la nouvelle réalité de l’industrie.

Si pour s’aligner à la hauteur du mantra « faut faire des shows », la route se renouvelle périodiquement, ajoutant ici et là de nouveaux arrêts, que ce soit un festival ou une nouvelle salle au personnel enthousiaste.

Pas une semaine ne passe sans qu’il y ait au moins 2 festivals le même week-end en été, et presque autant en hiver. En plus des tournées au travers. Les régions sont inlassablement quadrillées et Montréal est pour le gros spectacle hors de l’ordinaire, etc, etc,.

Avec la quantité d’artistes qui essaiment les scènes, le réseau est à saturation et on sent un besoin de renouveler une clientèle de plus en plus sollicitée et qui a maintenant l’embarras du choix.

Comme tout est cyclique dans l’histoire de la musique, ici comme ailleurs, nous arrivons à la fin de la période de transition entre le CD et le numérique. Le tout s’est consolidé et à moins d’une révolution tout aussi dramatique que celle vécue depuis 10 ans, on peut présumer que les modèles de distributions actuels vont demeurer pour un certain temps, avec probablement une amélioration des fichiers, en HD ou autres.

Il faut aussi s’attendre à des ajustements de politique selon l’évolution des éléments légaux au cœur des débats en cours depuis Napster. Et on trouve de plus en plus de politiciens intéressés à légiférer de façon plus contraignante cette technologie si puissante qu’elle est en train de modifier tous les aspects de l’économie mondiale. C’est surprenant que ce ne soit pas arrivé avant, il faut donc se compter chanceux d’avoir connu la période « libre ».

Le nouveau combat sera de se démarquer au sein de cette masse, que ce soit en s’associant aux joueurs les plus prolifiques ou en développant quelque chose d’unique et d’un potentiel de viralité. Il faudra également soutenir le réseau qui permet à cette économie d’exister, en le souhaitant prospère, question de s’assurer d’une suite pour ceux qui prendront la relève.

L’implication gouvernementale devra se maintenir, mais il faut s’attendre aussi à ce qu’une partie des coûts soient refilée d’une façon ou l’autre au consommateur, qui est de plus en plus habitué à débourser pour s’assurer d’une certaine quantité de musique à sa disposition, même s’il existe encore plusieurs sites de piratages, les possibilités du streaming sont devenues plus attrayantes que de posséder les fichiers, aussi gratuits soit ils.

Ce qui devrait encore causer quelques secousses dans le milieu et ce sera à ceux qui auront fait la transition, avec le vœu que les redevances soient plus conséquentes, qui sauront se maintenir pendant que plusieurs seront vite fixés sur la valeur de ce qu’ils offrent et devront évoluer vers une autre réalité, en marge des grands réseaux de distribution populaires.

On le constate déjà avec ces réseaux parallèles de distribution, voués à des styles musicaux marginaux, comme le Goth, le technohardcore ou le cold wave, ou à des territoires définis par une langue ou une culture qui leur sont propre, comme l’ensemble du continent africain avec près d’une centaine de plateformes de distribution de musique, africaine surtout, mais aussi des produits marginaux ici, mais qui connecte avec cette clientèle. Ou des cas particuliers, mais qui représentent quand même une masse d’auditeurs considérable, comme la Chine et la Russie. Qui se sont également développé leurs propres réseaux, en contrôlant ce qui y circule, un fantasme que certains aimeraient réaliser sur l’ensemble du www, comme on l’évoquait plus haut.

Additionnons tous ces marchés de niche et l’hégémonie des iTunes, Spotify, Tidal et autres Deezer, ne parait plus aussi totale que l’impression qu’on nous en donne. Les plateformes se multiplient ces derniers mois et l’offre est de plus en plus sur mesure pour une clientèle spécifique que du gigantesque catalogue à la recherche d’une tout aussi gigantesque clientèle.

Si la réalité du silo sur les réseaux sociaux est un facteur déterminant entre succès d’estime et diffusion plus vaste, le succès de ces nouvelles plateformes tient justement à l’effet silo et table sur la relative captivité des consommateurs à l’intérieur de ceux-ci. Il reste à prouver que ce pari est bon, mais les prémisses semblent leur donner raison.

La mondialisation des contenus et produits a provoqué un effet d’hyperlocalisation, qui même en étant encore embryonnaire, offre une alternative locale, éthique et responsable aux consommateurs qui s’inquiètent des effets de la mondialisation sur leur environnement immédiat. Ce qui explique la présente émergence de micro/petites entreprises au niveau local, la passion de plusieurs pour des produits spécifiques à une région, bref, le produit local reprend de son importance et constitue une matière première à l’épanouissement d’un quartier, d’une ville ou d’une région.

La culture est aussi vue comme telle. Chaque région du Québec peut compter sur son festival pour booster sa visibilité tant locale qu’internationale, tout en offrant une programmation généralement basée sur du talent local, à quelques exceptions près. La musique d’ici est aussi un rouage important de l’économie locale et justifie les investissements qui y sont faits par les gouvernements ou les entreprises privées.

Si ces derniers sont encore à prendre le virage numérique, plusieurs en sont dans la ligne droite suivante et prennent de la vitesse. Tant du côté des consommateurs que des entreprises en TI. Et c’est à cette vitesse que les musiciens et les entreprises culturelles du Québec doivent s’ajuster pour garder l’avantage que le territoire leur a conféré dans le passé. Si les réseaux internationaux servent plusieurs d’entre eux et permettent un développement international, le marché local est si sollicité à tous les niveaux, qu’au-delà des performances sur scène, l’industrie de l’enregistrement sonore québécois n’a pas l’appui qu’il devrait avoir de ses compatriotes. Ce n’est pas vraiment de leur faute non plus, parce que plus que les modes de distributions et diffusion de ces produits différents, c’est la façon de la publiciser qui a le plus changé. Pour consommer quelque chose, faut savoir que ça existe.

Et comme le milieu de la publicité en général a du s’adapter à la réalité des réseaux sociaux, multipliant les déclinaisons pour adapter leurs messages aux médiums, le milieu musical a amorcé lui aussi ce virage, mais trop souvent en se fiant aux gourous du marketing, qui au final ne servait que leur propre intérêt, sans regard pour l’état dans lequel ils ont laissé le milieu après s’être négocié des positions dans des boites de pubs.

L’édition, la licence et la publicité sont des avenues intéressantes pour quelques musiciens, mais qui encore servent la publicité, pas nécessairement la musique en soi. Et encore là, ces avenues ne sont plus la vache à lait qu’ils ont été et les entreprises qui y œuvrent cherchent à diversifier leurs activités pour pallier à la baisse de revenus que le milieu subit lui aussi depuis quelques années.

Le retour du vinyle, aussi marginale qu’éphémère puisse être cette mode, témoigne d’un attachement de certains avec l’objet, dans le même esprit qu’une collection de Tiki Mugs ou de timbres. Avec un produit qui a de la gueule, qui offre plus qu’un fichier sur ton téléphone, c’est déjà un meilleur moyen de marketing que de mettre son album en écoute gratuite sur le web. Le monde aime ça acheter des cossins. La musique est devenue si omniprésente, accessible et (presque) gratuite, que le marché est maintenant centré sur la bébelle pour en écouter que sur le produit qui justifie l’existence de la bébelle. On revient à la préhistoire de la musique enregistrée ou pour vous vendre un gramophone, on vous donnait des disques, qu’on ne choisissait pas, c’était là, on écoutait ce qu’il y avait et on finissait par aimer ça, parce qu’on n’avait rien d’autre.

Tout comme le milieu de la publicité, l’industrie de la musique doit revoir sa façon de se promouvoir, innover dans son propre domaine plutôt que de jouer le jeu des publicitaires et de se ridiculiser pour vendre autre chose que sa musique. Arrêter de servir de faire-valoir à une industrie qui lui fait perdre de sa valeur et qui en ricochet, le diminue face à son premier public, les vrais fans de musique.

Parce qu’il faut l’admettre, ce que ces innovations dans les modes de distribution ne se sont pas développé par des amoureux de la musique, au contraire. Elle a été un produit facile à pirater pour desservir une industrie alors en développement qui s’est hissé dans l’économie en s’appuyant sur la faiblesse d’une autre. Ce nouveau rapport de force leur a permis d’imposer les règles, qui sont devenues la norme et qui sont directement liées avec l’état de la scène. Le public n’est pas ou peu responsable de cet état des faits. Le public suit les tendances et ces tendances s’imposent toujours par la promotion. Et la promotion vient de ceux qui ont les moyens de la faire. Le public n’est pas le problème, il est la solution.

Avis à ceux qui ont encore de l’espoir, le public est là et il consomme de la musique. Il utilise les moyens qu’on lui donne. Et c’est là qu’il faut agir. Tant qu’il n’y aura pas un certain contrôle de ces moyens, la situation demeurera la même au mieux, mais pas besoin d’être un adepte des théories du complot pour envisager une détoriation plus prononcée si le statu quo demeure. Et pour que ces changements s’amorcent, n’en déplaise à certains, l’industrie devra se mobiliser et reprendre le contrôle de son marché. Que ce soit au niveau technique ou légal.

Parce qu’il y aura probablement toujours des musiciens et un public pour les écouter. Mais l’industrie du disque comme on l’a connu, elle, risque de perdre ses derniers avantages aux profits d’une autre industrie qui a besoin de plus de contrôle pour se développer et devient peu à peu le seul intermédiaire entre le créateur et le public. Quand cette industrie aura développé tous les services qu’un musicien recherche, et cela va arriver plus tôt que tard, la mythique recherche de l’étiquette de disques prestigieuse ne sera plus qu’un chapitre dans l’histoire de la musique. Ce qui comptera dans le futur c’est d’avoir un bon distributeur numérique.

Dire que l’on tient son avenir entre ses mains n’aura jamais été aussi à propos. À voir si ce challenge sera relevé et quelle en sera l’issue. Mais cette industrie n’aura qu’elle à blâmer si elle ne fait pas au moins l’effort d’essayer.

 

Patrice Caron

Patrice Caron

Fondateur

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